Texte extrait de La Naissance et l’évolution d’Homo sapiens, 2014, chapitre 19.

Associons deux sujets. L’un concerne les dérégulations du cerveau émotionnel d’Homo sapiens que l’on est en droit d’anticiper. L’autre concerne les relations entre l’humanité et le monde des virus. Pour combiner ces sujets nous devons dépasser une sorte de cécité générée par l’hyperspécialisation.

L’effondrement de barrières

En prenant en considération les effets possibles d’interférences systématiques et risquées sur le développement de structures cérébrales primitives, nous avons souligné que nous sommes aveuglés par les barrières conventionnelles établies entre les systèmes nerveux, endocriniens et immunitaires. Nous avons introduit l’expression « système d’adaptation primale1 ». Suggérer que le concept de trait de personnalité devrait inclure le concept de type métabolique était un pas vers la compréhension de l’unité des systèmes d’adaptation de base impliqués dans ce que nous appelons communément la santé. Un autre pas consiste à affirmer que la qualité de notre système immunitaire ne devrait pas être dissociée des autres traits de personnalité.

            Il convient aujourd’hui d’effondrer les barrières entre les fonctions des structures cérébrales archaïques et les fonctions du système immunitaire. Par exemple les activités du système immunitaire dépendent de la libération de cortisol par les glandes surrénales : il est bien connu que les taux de cortisol sont sous le contrôle de l’hypothalamus, une partie du cerveau primitif qui fonctionne comme une glande. Le réglage (« set point levels ») de l’hypothalamus est établi pendant des phases critiques de la période primale. Nous savons maintenant que la stimulation du système immunitaire envoie un flot d’information à l’hypothalamus. Certains antigènes – ces substances qui stimulent le système immunitaire – peuvent accroître considérablement l’activité électrique de certaines cellules nerveuses de l’hypothalamus. On peut donc présenter le système immunitaire comme un organe sensoriel qui donne des informations au cerveau.

            Des expériences spectaculaires de conditionnement des réactions immunitaires ont démontré qu’un signal venant du système nerveux peut influencer les fonctions immunitaires. Le mariage entre le système nerveux et le système immunitaire apparait comme une importante avancée théorique. Robert Ader et Nicholas Cohen ont donné à des rats de l’eau saccharinée en même temps qu’une substance (Cytoxan) qui déprime le système immunitaire et induit des troubles digestifs. Apres cela ils pouvaient déprimer le système immunitaire de ces rats, et même les tuer, en ne leur donnant que de l’eau saccharinée. D’autres expériences de conditionnement pavlovien du système immunitaire ont confirmé ces résultats2.

            Puisque la science moderne est en mesure d’expliquer l’unité du système d’adaptation primal, nous devons soulever des questions concernant le développement disharmonieux du cerveau humain sur le système immunitaire de la même façon que nous avons soulevé des questions sur les effets possibles sur la régulation émotionnelle.

            Afin d’anticiper de tels effets nous devons d’abord rappeler que la fonction primaire du système immunitaire est de déceler une grande diversité d’agents, tels que virus, bactéries, parasites ou cellules cancéreuses et de les distinguer des tissus sains de l’organisme. Si cette fonction primaire est perturbée, le système immunitaire peut attaquer des tissus normaux comme s’ils étaient des organismes étrangers. C’est le mécanisme de l’auto-immunité conduisant à des maladies telles que diabète type 1, arthrite rhumatoïde, hypothyroïdisme d’Hashimoto et lupus érythémateux. Soulignons que la fréquence d’une maladie auto-immune telle le diabète 1 est en augmentation3 et que la naissance par césarienne apparait comme un facteur de risques4,5. Un système immunitaire déréglé peut aussi réagir à l’excès : les maladies allergiques sont des effets de telles over-reactions. Soulignons que la fréquence des maladies allergiques, y compris de l’asthme, est aussi en augmentation, et que les antibiotiques dans la période périnatale, de même que les naissances par césariennes, apparaissent comme des facteurs de risques6,7,8,9,10. Les résultats d’une étude sur les risques d’asthme dans l’enfance en relation avec l’exposition aux antibiotiques à la fin de la vie intra-utérine suggèrent le rôle probable de la flore intestinale11.

            Les fonctions immunitaires peuvent aussi être déprimées et manquer de puissance pour neutraliser une grande diversité d’agents pathogènes et de cellules cancéreuses. Nous ne pouvons pas donner une liste de tous les groupes possibles d’agents pathogènes. Expliquons pourquoi nous attirons l’attention sur les maladies virales émergentes en tant que menaces sérieuses pour la santé humaine.

La menace virale

Il suffit de réunir  un petit nombre de faits établis pour réaliser que la survie de notre espèce est hautement dépendante  de notre relation avec le monde des virus.

 Les virus représentent la plus grande partie de la biomasse si l’on tient compte du nombre presque infini de virus dans les océans. La menace principale vient des virus à génome RNA. Ces virus sont des morceaux d’acide ribonucléique (RNA) entourés de protéines et souvent enveloppés dans une membrane. Ils ne peuvent se reproduire que dans les cellules qu’ils colonisent. Puisqu’ils sont capables de mutations extrêmement rapides, ils ont une capacité énorme d’adaptation à l’environnement et particulièrement aux modifications des conditions climatiques. Par comparaison avec d’autres organismes vivants, leur capacité d’adaptation est d’un autre ordre de grandeur. L’émergence du syndrome pulmonaire à hantavirus suivant le « El Nino » qui commença en 2009 illustre la capacité des virus à génomes RNA à s’adapter rapidement a des différences de température. Rappelons que « El Nino-Southern Oscillation » est un évènement climatique quasi périodique au niveau de l’océan pacifique tropical, dont le cycle est d’environ cinq ans. Il implique des variations de température au niveau de la mer. Ces considérations sont vitales à une époque ou des changements climatiques significatifs sont attendus au cours des prochains siècles, quels que soient les rôles comparatifs de la variabilité solaire et des activités humaines.

            Pour évaluer la menace virale nous devons prendre en considération la fréquence des voyages aériens en tant que phénomène nouveau. Cela constitue sans aucun doute un facteur important de  propagation des maladies émergentes. Ainsi peut-on expliquer la rapide propagation du syndrome respiratoire à coronavirus (SARS) en 2003. Après un début à Hong Kong, cela devint une épidémie mondiale avec plus de 8 000 cas et 774 morts à l’échelle mondiale, selon les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé. En quelques semaines SARS (un virus RNA) s’est répandu à partir de Hong Kong pour infecter des individus dans 37 pays. En fait, la capacité des virus à génome RNA de se répandre partout dans le monde a précédé l’ère des transports aériens fréquents. Selon des estimations récentes l’épidémie mondiale de grippe de 1918 a tué 100 millions de personnes, c’est-à-dire 5% de la population mondiale de l’époque12.

Tout en évoquant la menace virale, il convient de garder à l’esprit que la relation entre les mammifères (y compris Homo sapiens) et la virosphère n’est qu’occasionnellement conflictuelle. Elle est en fait éminemment symbiotique. Nous devons dépasser le conditionnement dominant qui conduit à considérer les virus comme des ennemis : nous sommes aussi protégés par des virus bactériophages (les « phages ») qui sont abondants dans les mucus du tube digestif et des voies respiratoires.

L’analyse de la menace virale est une façon éloquente de réaliser les limites de la domination de la nature, en tant que stratégie de base de survie depuis la révolution néolithique. Cette domination a inclus des interférences avec les processus physiologiques humains, particulièrement ceux qui appartiennent au domaine de la sexualité, et surtout le processus de l’accouchement. Un être humain émotionnellement déréglé, produit de telles stratégies de survie, a des difficultés à passer de la connaissance à la prise de conscience. Il ignore les effets de ses comportements et continue à perturber de façon spectaculaire les écosystèmes sans réaliser que les virus peuvent s’adapter beaucoup plus facilement et rapidement que les mammifères aux changements spectaculaires de l’environnement, et particulièrement aux changements climatiques. Quelle sorte d’Homo sapiens sera capable de rompre un tel cercle vicieux ?

            Répétons que l’apprenti sorcier doit se préparer  à l’avènement de l’inattendu. Bien que la menace virale doive l’emporter sur toute autre considération, parce que l’évaluation de son importance repose sur des connaissances indiscutables, on ne peut ignorer des menaces concomitantes.

Nous devons garder à l’esprit qu’il y a dans le monde des millions d’espèces de « fungi » (moisissures), mais que seulement 100 000 ont été identifiées. De nouvelles sortes d’infections à fungi chez les plantes et les animaux ont décuplé depuis 1995. La responsabilité des changements climatiques a été suggérée. La menace pourrait être surtout indirecte du fait de la destruction des plantes cultivées. La famine irlandaise des années 1840, conséquence de la destruction des pommes de terre, montre à quel point ces pathogènes peuvent être dévastateurs. En fait les risques doivent être évalués avec objectivité, parce que les fungi ne se transmettent pas d’une personne à l’autre comme les virus, et parce que des agents spécifiques peuvent contrôler de telles infections. Matthew Fisher, chercheur en maladies émergentes à l’Imperial College de Londres, a ainsi exprimé son point de vue : «  Je serais très surpris qu’une soudaine infection à fungi tue une grande partie de la population. Mais ce n’est pas impossible13. »

Nous entrons dans une nouvelle phase des fonctions de l’histoire. Dans l’avenir le principal sujet ne devrait plus être l’histoire des relations entre humains, mais l’histoire des relations entre l’Humanité et la Terre-Mère. La virosphère est une composante majeure de Gaia… de la Terre-Mère en tant qu’organisme avec des fonctions auto-régulatrices14.

 Références:

1 – Odent M. Primal Health. Century Hutchinson. London 1986.

2 – Cohen N, Moynihan JA, Ader R Pavlovian conditioning of the immune system. Int Arch Allergy Immunol. 1994 Oct;105(2):101-6.

3 – Gardner SG, Bingley PJ, et al. Rising incidence of insulin dependent diabetes in children aged under 5 years in the Oxford region: time trend analysis. BMJ 1997; 315:713-7

  4- McKinney PA, Parslow R, Gurney KA, Law GR, Bodansky HJ, Williams R. Perinatal and neonatal determinants of childhood type 1 diabetes. A case-control study in Yorkshire, U.K. Diabetes Care. 1999 Jun;22(6):928-32.

5 – Cardwell CR, Stene LC, Joner G, et al. Caesarean section is associated with an increased risk of childhood-onset type 1 diabetes mellitus: a meta-analysis of observational studies. Diabetologia. 2008 May;51(5):726-35. Epub 2008 Feb 22.

6 – Pistiner M, Gold DR, et al. Birth by cesarean section, allergic rhinitis, and allergic sensitization among children with a parental history of atopy J Allergy Clin Immunol. 2008 Aug;122(2):274-9. Epub 2008 Jun 20

7- Bager P, Wohlfahrt J, Westergaard T. Caesarean delivery and risk of atopy and allergic disease:

meta-analyses. Clin Exp Allergy. 2008. Apr;38(4):634-42.

8 – Kuitunen M, Kukkonen K, Juntunen-Backman K,  et al. Probiotics prevent IgE-associated allergy until age 5 years in cesarean-delivered children but not in the total cohort. J Allergy Clin Immunol. 2009 Feb;123(2):335-41. doi: 10.1016/j.jaci.2008.11.019. Epub 2009 Jan 8.

9 – Xu B, Pekkanen J, Hartikainen AL, Järvelin MR. Caesarean section and risk of asthma and allergy in adulthood. J Allergy Clin Immunol. 2001 Apr;107(4):732-3.

10 – Roduit C, Scholtens S, de Jongste JC, et al. Asthma at 8 years of age in children born by caesarean section. Thorax. 2009 Feb;64(2):107-13. doi: 10.1136/thx.2008.100875. Epub 2008 Dec 3.

  1. Stensballe LG, Simonsen J, Bisgaard H. Use of Antibiotics during Pregnancy Increases the Risk of Asthma in Early Childhood. J Pediatr. 2012 Nov 6. pii: S0022-3476(12)01141-9. doi: 10.1016/j.jpeds.2012.09.049.

12 – Johnson NP, Mueller J. Updating the accounts: global mortality of the 1918-1920 « Spanish » influenza pandemic. Bull Hist Med. 2002 Spring;76(1):105-15.

13– Nicola Jones. Planetary disasters: it could happen one night. Nature. News Feature. January 08, 2013.

14 – James Lovelock. Gaia: A new look at Life on Earth. Oxford Paperbacks 2000

Image : Nymphéas, Claude Monet, détail, National Gallery, Londres.